Résumé : La Camargue (Delta du Rhône, France) est un écosystème tempéré propice à l’émergence et à la propagation de maladies zoonotiques. Face à ce défi, alors que l’opérationnalisation de l’approche One Health s’est surtout concentrée sur les régions tropicales et intertropicales, une Zone Atelier Santé-Environnement-Camargue du CNRS est en cours de construction. L’ambition est de fédérer la recherche en santé-environnement en Camargue selon une approche intégrative et interdisciplinaire pour apporter des réponses concrètes aux acteurs locaux. Le projet ZOOCAM vise à répondre aux questions suivantes :
1) Quelle est la dynamique des agents zoonotiques circulants/émergents en Camargue ?
2) Quels sont les facteurs humains et environnementaux qui influencent la diffusion des agents zoonotiques ?
3) Les risques zoonotiques actuels et émergents peuvent-ils être modélisés/prédits ?
4) Comment le risque est-il perçu par les acteurs locaux ?
ZOOCAM se structure en plusieurs « Work Packages » (WP) dédiés à des aspects spécifiques de la recherche.
Le WP1, mené par Fred Thomas et Pierre Becquart (MIVEGEC), se concentre sur l’étude des virus de mammifères en Camargue, notamment ceux présents chez les chauves-souris, et sur l’établissement d’une cartographie génomique de ces virus. L’objectif est de comprendre quels virus pourraient potentiellement se transmettre à l’homme et de suivre leur évolution dans le temps. Les recherches incluent également un élargissement à d’autres mammifères locaux, comme les ragondins ou les fouines, afin de mieux appréhender les vecteurs zoonotiques dans la région.
Le WP2, dirigé par Olivier Rey (IHPE), s’intéresse aux trématodes, des parasites présents dans les milieux aquatiques, qui ont des conséquences sanitaires importantes pour les humains et les animaux domestiques. Bien que ces parasites soient encore mal connus, les recherches menées dans le cadre de ZOOCAM visent à mieux anticiper les maladies liées aux trématodes dans un contexte de changements environnementaux, notamment en raison de l’anthropisation croissante et de l’usage de pesticides dans les rizières camarguaises.
Le WP3 mené par Karen McCoy (MIVEGEC) explore les liens entre la pollution par les microplastiques et la capacité vectorielle de certains organismes, comme les moustiques, les tiques et les mollusques d’eau douce, sur le littoral méditerranéen. L’objectif est d’analyser comment ces polluants peuvent influencer la propagation des maladies à travers ces vecteurs biologiques, une approche innovante qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives en matière de gestion environnementale et sanitaire.
Le WP4 du projet ZOOCAM piloté par Emanuel Fronhofer (ISEM) se concentre sur la modélisation des risques associés aux zoonoses. L’objectif principal est de prédire l’évolution des maladies zoonotiques en fonction des dynamiques écologiques et des interactions entre les espèces animales et leur environnement. Le WP4 vise également à intégrer ces résultats dans une perspective de gestion sanitaire, en fournissant des outils et des recommandations aux acteurs locaux, pour anticiper et prévenir les risques liés aux zoonoses, tout en favorisant une approche durable de la biodiversité.
En effet, les ambitions du projet ne s’arrêtent pas à la recherche fondamentale. ZOOCAM souhaite également intégrer ses résultats dans des actions concrètes en faveur de la gestion territoriale et de la santé publique. La question de la co-construction des savoirs avec les acteurs locaux est un pilier essentiel du projet, mis en œuvre au niveau du WP5 dirigé par Raphaël Mathevet (CEFE). En effet, la gestion des zoonoses ne peut se limiter à une approche scientifique ; elle nécessite d’impliquer les usagers du territoire, qu’il s’agisse des agriculteurs, des gestionnaires des espaces naturels, ou des populations locales. La complexité des interactions entre biodiversité, santé et société appelle des réponses concertées, dans lesquelles la science participative joue un rôle crucial. Un effort particulier est fait pour sensibiliser les acteurs locaux aux risques zoonotiques, tout en soulignant l’importance de préserver la biodiversité et de bénéficier des services écosystémiques qu’elle offre.
Enfin, le projet ZOOCAM se distingue par sa dimension interdisciplinaire et collaborative, abordée dans le WP6 piloté par Aurélie Binot (MSH Sud). Bien que les différents WP aient été construits de manière relativement indépendante, il y a une volonté forte de décloisonner, avec un effort pour construire un cadre épistémologique commun entre chercheurs issus de disciplines variées, comme la biologie, l’écologie, et les sciences humaines et sociales (SHS). Les liens entre les WP seront progressivement renforcés, notamment autour des stratégies d’échantillonnage, ou encore à travers les interactions entre les modèles vectoriels étudiés dans le WP3 et les analyses de risques sanitaires du WP4.
Un aspect clé de ZOOCAM est son ancrage territorial. La Camargue, par sa biodiversité et ses zones humides, est un territoire particulièrement propice à l’étude des interactions santé/environnement, avec un observatoire en écologie de la santé et la Tour du Valat (TdV), un centre de recherche pionnier dans la conservation des zones humides qui joue un rôle central dans la coordination des recherches sur le terrain. Dans le projet, ce WP transverse est piloté par Marion Vittecoq (TdV). Grâce à cette dynamique locale, ZOOCAM bénéficie d’une connaissance approfondie du terrain et de solides collaborations avec les acteurs régionaux.
ZOOCAM cherche ainsi à éviter une vision réductrice où la nature serait perçue uniquement comme une source de dangers sanitaires. Au contraire, le projet vise à montrer que la biodiversité, si elle est bien gérée, peut être un atout pour la santé publique. Cette approche nécessite un dialogue constant entre scientifiques et acteurs locaux, notamment pour trouver des solutions durables qui permettent de réduire les risques sanitaires tout en préservant les écosystèmes. Par exemple, l’implication du WP5 et du WP6 dans la communication et la coordination des résultats scientifiques avec les dynamiques sociales de terrain est une dimension clé de ce processus.
En conclusion, ZOOCAM s’impose comme un projet majeur dans la recherche sur les zoonoses et la santé environnementale en Camargue. Sa force réside dans son approche interdisciplinaire, son ancrage territorial fort et sa volonté de coconstruire des solutions avec les acteurs locaux, en renforçant les liens entre la science, la société et la gestion durable de la biodiversité.
Un défi majeur réside dans la capacité des acteurs du projet à décloisonner leurs approches entre WP et à intégrer les connaissances hétérogènes qui seront produites.
Auteurs : Frédéric Thomas (Extraits projet), Aurélie Binot (Extraits Draft de récit).